Le
gouvernement SYRIZA qui compte déjà deux années de vie, est une
expérience unique en Europe, de laquelle les partis de gauche des
autres pays, surtout ceux qui sont proches d'une victoire électorale,
devraient tirer des leçons fort utiles. Le fait que le gouvernement
de gauche en Grèce a été obligé d'appliquer les politiques
contenues dans le 3ème Memorandum, a dans la plupart des cas conduit
des formations politiques et des analystes de gauche, à une approche
de la 'question grecque' à travers les politiques des institutions
européennes, qui sont appellées à changer leurs orientations
centrées sur les mesures d'austérité et la sauvegarde de la
profitabilité des banques. Il est vrai que les 'institutions'
exercent une pression forte sur tous les aspects des politiques
économiques et sociales du gouvernement grec, mais ce que ce même
gouvernement a nommé 'programme parallèle' reste une voie possible
pour recomforter les classes populaires mais aussi pour appliquer des
politiques structurelles dans le cadre d'une stratégie de
'reconstruction' qui doit concerner l'appareil productif, les
institutions sociales, et le cadre environmental.
Gouverner,
à quelque niveau, signifie que l'on doit assumer trois choses:
élaborer et faire accepter un plan par des processus démocratiques,
gérer ce plan avec des institutions et des instruments politiques,
et enfin avoir le personnel capable de faire fonctionner ces
institutions et ces instruments. Mais pour ce faire on ne commence
pas à zero, car le régime précédent, chaque fois, a donné des
réponses à ces questions, d'une façon ou d'une autre, et il s'agit
donc de réaliser une réforme institutionelle de grande envergure et
de définir d'une nouvelle manière ce que sont des connaissances
requises, les nouvelles formes organisationelles de gestion et les
nouvelles procédures de prise de décisions. Celà doit se passer à
tous les niveaux, communal, régional et étatique. Et de telles
transformations doivent être fonction tant de mobilisations
collectives, même au sein des administrations, que de processus
cognitifs et même de processus systématiques d'éducation et
d'apprentissage.
Le
charactère de la crise est une question bien entendu théorique mais
aussi pratique. Est-ce que le capitalisme contemporain, dont la
dynamique conduit à une déterioration dangereuse de notre
environment, qui est geré par des banquiers indiférents pour tout
ce qui n'est pas leur profit, qui conduit à une explosion des
inégalités, est capable de se baser sur de nouvelles alliances et
hierarchies sociales, et de choisir des logiques reproductives et
viables pour nos sociétés? La Grèce n'est pas une économie, une
société qui a raté le train de l'avenir, mais un cas qui montre
quel est cet avenir. Celà signifie qu'un gouvernement de gauche doit
faire des choix stratégiques aux niveaux de la production, de la
protection sociale, et de l'environment, qui se placent en dehors du
cadre institutionel et du modèle de gestion de l'économie
capitaliste, même si ces choix en peuvent pas conduire à des
changements d'ensemble immédiats ou simultanés. Mais ces
changements doivent être significatifs quant à leur importance
stratégique et leur rôle transformatif, et aussi leur poid
concernant les rapports de force sociaux et politiques.
Les
institutions et les pratiques informelles qui les accompagnent,
expriment des alliances et des rapports de forces dominants. Des
institutions et pratiques exprimant les intérets d'une alliance
populaire de fait – comme celle qui a porté SYRIZA au pouvoir –
doivent quitter le terrain d'une alliance qui se constitue pour
garantir la sauvegarde des intérets des groupes capitalistes, et
être capables de plannifier la réalisation des choix stratégiques
au profit des classes populaires. Cette plannification et ces choix
ne peuvent être décidés par une bureaucratie étatique, mais
doivent venir de procédures démocratiques qui sont elles mêmes des
innovations majeures. Ce changement d'orientation ne signifie pas que
le secteur privé est éliminé mais que la plannification
démocratique combine des interventions publiques – dépenses et
investissements – des investissements privés, et des initiatives
sociales et solidaires. Le contrôle démocratique doit aussi
concerner les structures d'applications des politiques décidées et
des soutien aux entités de toutes catégories, surtout les petites
entreprises, les entreprises familiales et les intitiatives
d'économie sociale et solidaire.
Une
crise de régime
Les
conséquences de la crise et de la gestion de la crise par les
memoranda successifs sont déjà dramatiques: une baisse du PIB au
delà de 25%, un chômage autour de 24% et pres de 30% selon
l'Institut du Travail, une baisse de la production industrielle qui
atteint 60% dans les branches autres que l'alimentation. Mais à
l'endettement et la très basse competitivité se sont ajoutés des
problèmes comme la réduction à zero quasiment de la capacité des
banques 'systémiques' à financer l'économie, la fuite de capitaux
à l'étranger, la contraction de la classe des entrepreneurs où
dominent les revendications et propositions liées à la survie des
entreprises et pas les préoccupations liées à la restructuration
de l'économie. Des experts du ministère de l'économie signalent le
danger d'une dynamique d'émigration continuelle des jeunes qui
conduira à la perte des travailleurs les plus qualifiés mais aussi
à une diminution sugnificative de la population du pays.
Le
gouvernement de gauche en Grèce peine à réaliser le tournant
nécessaire. Dans le domaine important des politiques d'aide à
l'investissement, le cadre institutionel hérité du régime
précédent n'a pas été réformé d'une façon significative. Il
s'agit d'un système de gestion surtout des subsides des fonds
structurels européens, et aussi des fonds gérés par le Fond
Européen d'Investissement. Les fonds publics sont consacrés à des
demandes déposées par chaque entreprise, qui sont approuvées
individuellement. Même aujourd'hui et malgré le fait que des choix
d'ensemble doivent être faits par régions pour reconstruire le
pays, aucune plannification n'est réalisée, pour assumer les
transformations structurelles nécessaires, et accelerer
l'augmentation de l'emploi. C'est un système qui depuis plus que
deux décenies a reproduit les structures existantes, a gaspillé des
ressources et a favorisé le clientélisme et la corruption, tout en
conduisant l'appareil productif vers la perte accelerée de capacités
et la crise de competitivité. Les fonds d'investissement
fonctionnent selon une logique bancaire, et s'addressent à des
entreprises profitables en dehors de toute logique de développement
planifié.
Le
scenario mis en avant aujourd'hui par les institutions mais aussi par
le gouvernement grec est celui de la 'croissance' qui sera le
résultat d'investissements par des entrepreneurs grecs, mais aussi
d'investissements directs étrangers. Même si il y a une reprise des
investissements privés importante, rien n'indique qu'ils vont
répondre aux besoins structurels de l'économie, tandis que les
projections présentées actuellement montrent une absorption du
chômage à très long terme, et ne comprennent aucune prévision ni
aucun projet concernant les institutions sociales et les politiques
environmentales. Le gouvernement se trouve donc dans la position
contradictoire suivante: d'un coté les 'institutions' sont accusées
de freiner le développement du pays, mais de l'autre on accepte que
les politiques imposées par le 3ème memorandum conduisent à la
reprise de la croissance.
Une
approche radicale pragmatique
Un
gouvernement de gauche aujourd'hui doit accepter qu'il se trouve face
à une crise de régime qu'il doit affronter en fixant de nouveau
buts stratégiques, et en instaurant de nouvelles institutions et
methodes de gestion, en mettant donc en place un nouveau régime, qui
ne soit plus sous le contrôle des groupes capitalistes, mais exprime
les besoins et les projets des classes populaires qui ont porté au
pouvoir ce gouvernement. À la base d'un nouveau régime doit se
trouver la methode de la planification démocratique, qui permettrait
de faire des choix selon les besoins, et de légitimer ces choix à
travers des procédures démocratiques. Cette approche serait un
moyen de mobiliser et valoriser les institutions représentatives au
niveau des régions et des secteurs, et de mettre en valeur et
incorporer dans la planification démocratique les initiatives
d'Économie Sociale et Solidaire qui se sont développées dans le
pays, ainsi que les alliances pour les communs et les mouvements
sociaux.
Malgré
le fait que les ressources publiques sont réduites à cause des
politiques d'austerité, il serait possible d'utiliser les ressources
disponibles d'une façon plus efficace. Il en s'agit pas seulement
des ressources publiques (internes et européennes), mais aussi de la
possibilité de prets de la Banque Européenne d'Investissements et
du Plan Juncker, et de facteurs de production disponibles, la terre
non cultivée, les batiments non utilisés et les equipements
d'entreprises fermées ou abandonnées. Une banque publique de
développement et des banques coopératives locales peuvent être des
instruments privilégiés du système de planification. Il est aussi
possible d'utiliser l'instrument des monnaies complémentaires pour
accelerer le processus de reconstruction et créer des zones de
production et d'echanges qui ne soient pas dépendants du marché
mondial. Ce serait aussi des ensembles d'unités de production qui
arriveraient à partir d'un certain moment à se reproduire selon une
logique d'économie stationnaire, favorisant l'existence
d'entreprises privées ou sociales qui sont principalement des
sources de revenus et pas de profits.
Le
gouvernement est en train de mettre en place un nouveau cadre
institutionel qui concerne l'Économie Sociale et Solidaire, qui
prévoit par région la création de Centres de Soutien aux
initiatives d'ESS, qui devrait assumer aussi des taches de
planification au niveau local et régional. Ce sera un test important
de la volonté du gouvernement de faire un pas sugnificatif vers la
methode de la planification démocratique. Existent déjà au niveau
local quelques initiatives importantes mais isolées de Sociétés de
Développement créées par des municipalités, et des Banques
Coopératives qui assument ensemble le rôle d'institutions de
soutien aux initiatives d'ESS, mais aussi aux petites entreprises et
entreprises familiales. Il s'agit de voir à quel point il y aura une
jonction de ces efforts, qui gardera le charactère collectif et
démocratique de ces initiatives.
Des
reseaux de gestion de communs, qui concernent p.e. l'eau et le
recyclage de déchets, demandent a être reconnus comme alternatives
face à la privatisation et à l'exploitation industrielle des
déchets, c.à.d. à leur recuclage très partiel. Le reseau national
des dispensaires sociaux créés dés le début de la crise par des
medecins et infirmiers volontaires, continue à exercer une pression
déterminante sur le système de santé, qui a déjà conduit à la
gratuité des soins pour ceux qui en béneficient plus de la sécurité
sociale. Le cas de VIOME, l'usine autogérée de Salonique, pourrait
être suivi par d'autres initiatives allant dans le même sens qui
sont proposées, si le cadre legal et des structures adéquates
étaient mises en place pour faire redémarer et adapter à de
nouveaux projets des unités de production fermées ou abandonnées
par leurs propriétaires.
Une
lutte sur tous ces fronts devrait s'intensifier pour imposer une
transformation radicale des structures reproductives de l'économie
et de la société. Il s'agit d'un projet inspiré des nouvelles
formes d'organisation des mouvements populaires, mais aussi inspiré
des valeurs de solidarité et démocratie mises en avant et
appliquées par ces mouvements. Il s'agit d'une voie rationelle et
démocratique qui exprime les aspirations et les besoins des classes
populaires qui ont voté pour le gouvernement de gauche.
C'est
une voie opposée à la dynamique en marche actuellement qui est
dépendante des aspirations et besoins d'une classe capitaliste
réticente à soutenir et assumer un projet de restructuration du
pays, et qui conduit au contraire vers une marginalisation sociale et
économique durable, d'un cout énorme pour la population. Cette
dynamique reste prisonnière d'une vision 'developpementiste',
nostalgique d'un passé d'euphorie pourtant factice, qui fut une
période de prospérité pour de grandes catégories des classes
moyennes. Du sein d'un monde du travail, désorganisé et paupérisé
par les politiques néolibérales et la crise de l'emploi, surgisent
de nouvelles formes d'organisation porteuses de projets
restructurants qui modifient les méthodes d'élaboration et de
gestion des politiques de développement, qui devrait être
encouragées et encadrées par les politiques gouvernementales.
SYRIZA
et le gouvernement gardent leurs charactères de gauche, mais le
manque de préparation programmatique, et aussi le retard en ce qui
concerne la formation des cadres capables d'assumer les élaborations
de plans de développement durable à tous les niveaux, et aussi de
gérer ces plans, pèse lourdement. Ce retard doit être comblé car
faire fonctionner autrement et en grande partie transformer
l'appareil économique et les institutions politiques n'est pas
simplement une question de choix idéologiques mais surtout une
question de capacités cognitives.
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